Transcription
[44 r] à Berlin ce 27 Septembre 77.
Mon cher et illustre Confrere, M. Bitaubé mon confrere à l'Academie, et dont le merite vous sera peut etre deja connu a bien voulu se charger de vous rendre cette lettre et ce paquet. il vient à Paris presque uniquement pour voir les gens de lettres et vous jugez bien qu'il doit etre empressé de faire votre connaissance. vous trouverez en lui un homme qui joint beaucoup d'esprit et de lumières à une grande douceur dans le caractere ; il est depuis longtems ami de M. d'Alembert et cela me dispense de vous en dire davantage. Le paquet que M. Bitaubé vous remettra contient le recueil de tables Astronomiques que notre Academie a fait imprimer l'année passée. c'est le meilleur corps d'astronomie qu'on puisse avoir, et je crois que vous en serez content. ce qui augmente maintenant le merite de cet ouvrage, c'est que l'on vient de perdre celui a qui on le doit. M. Lambert est mort avant hier au soir de consomption, fort regretté de tous ceux qui l'ont connu, par son profond savoir et par la droiture et la bonté de son cœur. je suis touché de cette perte au dela de tout ce que je puis vous [44 v] dire, et je la regarde comme irreparable pour notre Academie en particulier et pour les sciences en general. j'étais un peu prevenu contre lui lorsque j'arrivai ici, mais, dès que j'eus connu tout son merite je conçus pour lui la plus forte estime, et je n'ai pas a me reprocher de ne lui avoir |pas| rendu du fond de mon cœur, en toute occasion, la justice qui lui était due. il n'avait pas encore 50 ans, et était plein de santé il y a un an. il a deperi peu a peu et est mort sans s'en douter. c'est la plus grande perte que notre Academie pût faire.
Ce que vous me mandez, touchant le prix de l'année prochaine, me fait beaucoup de plaisir ; mon ami prendra mieux ses mesures une autre fois, il est très aise que sa piece n'ait pu être admise, parce qu'il se flatte de pouvoir la rendre moins defectueuse et moins imparfaite.
je suis ravi que vous ne soyez pas mecontent de mon memoire sur les equations aux differences finies. Si j'y ai emprunté quelques unes de vos idées je vous prie de les reprendre et de les revendiquer sans ceremonie. je [45 r] l'ai composé presque tout d'un trait et d'après les idées qui se sont présentées d'elles memes a mon esprit ; ensuite je n'y ai plus touché, ayant aussi tot perdu cette matiere de vue. J'ai lu à M. Formey l'article de votre lettre qui le regarde, il m'a chargé de vous remercier de la peine que vous avez prise de faire ses commissions ; si vous lui faites un mot de reponse il en sera charmé et flatté en même tems.
Adieu, mon cher et illustre Ami, ayez bien soin de votre santé et souvenez vous de celui qui vous aime, vous estime et vous honore plus que personne dans le monde. Embrassez de ma part M. d'Alembert, et recommandez moi à son amitié. puisqu'il a recu mes memoires il aura aussi recu ma lettre qui y était jointe. j'ai recu l'exemplaire de mon memoire sur les nœuds ; je vous en suis infiniment obligé. Si j'avais pu en avoir aussi un de celui sur les satellites de Jupiter, cela m'aurait fait beaucoup de plaisir. ces deux memoires sont peut etre ce que j'ai fait de plus supportable. je vous embrasse de tout mon cœur.
[45 v] [Adresse]