Transcription
[46 r] Berlin ce 19 octobre
Mon cher et illustre Ami, étant incertain de votre demeure j'ai differé jusqu'a présent a vous répondre et à vous remercier du beau présent dont vous m'avez honoré. j'ai lu vos Eloges avec la plus vive satisfaction ; ils m'ont egalement plu pour le fond et pour la maniere. le style simple noble et vrai dont ils sont ecrits me parait le seul propre a ces sortes de matieres et les rend infiniment superieurs à beaucoup d'autres qui |ne| brillent |que| par un stile précieux, ou guindé. J'ai d'avance une grande idée de l'histoire des sciences à laquelle vous vous proposez de travailler ; je vous exhorte de tout mon cœur a ne pas perdre cet objet de vue ; vous etes plus en etat que personne de le bien remplir, parceque vous joignez l'ardeur de la jeunesse a un grand fond d'esprit et de savoir. J'attends avec beaucoup d'empressement les Memoires que vous m'annoncez parceque je ne doute pas qu'ils ne soient aussi interessants que les précédens, et que je ne les lise avec autant de plaisir et de fruit. La matiere du calcul integral que vous avez particulierement entrepris d'approfondir est maintenant une des plus importantes et des plus difficiles ; j'ai deja eu plus d'une fois la tentation de m'y appliquer aussi, mais j'en ai toujours été distrait par d'autres objets ; d'ailleurs je ne pourrais guerez qu'ajouter des bagatelles a vos [46 v] recherches et glaner après vous. Le memoire que j'avais prié le M. Caraccioli de vous annoncer est pret depuis longtems ; mais j'ai fait scrupule de l'envoyer à l'Academie a cause de sa longueur, qui pourrait bien aller à 100 pages d'impression ; cela vient de ce que j'ai voulu eclaircir la matiere par différens exemples pour rendre mes methodes familieres aux Astronomes, et comme cette partie de mon travail n'est pas celle qui m'a couté le moins j'aurais quelque regret de la supprimer. Si vous croyez que malgré cela je doive vous l'envoier, je vous obeirai de grand cœur, et je me servirai pour cela de la voie que vous m'indiquez, sinon, je le reserverai pour un de nos volumes, et je tacherai de vous envoyer quelque autre chose, qui soit moins long. je suis après à une solution d'un probleme deja resolu par Euler et par M. d'Alembert ; c'est celui du mouvement d'un corps de figure quelconque qui n'est animé par aucune force acceleratrice ; ma methode est tout a fait differente des leurs, et est independante de toute consideration de rotation, et d'axes principaux, elle est d'ailleurs fondée sur des formules qui peuvent etre utiles dans d'autres occasions, et qui ont quelque [47 r] chose de remarquable par elles memes. Si ce Memoire vous convient mieux que l'autre, je vous l'enverrai au premier mot que vous m'en direz. Je suis bien flatté de votre suffrage par rapport a ma théorie des équations, et je suis tres aise de m'etre debarassé de cette matiere qui m'a occupé plus longtems qu'elle ne devait. On va imprimer dans le Volume qui est sous presse trois de mes Memoires dont un sur la forme de racines imaginaires.
M. Formey m'a dit dernierement à l'Academie qu'il avait reçu de chez le M.quis de Pons un Memoire pour notre prix des Cometes ; comme le concours est ouvert jusqu'à la fin de l'année cette piece restera entre ses mains jusqu'à ce temps la.
Je connais quelqu'un que différens obstacles ont empeché de concourrir cette année pour votre prix parceque son memoire ne s'est pas trouvé pret à tems ; il s'engagerait de l'envoyer d'ici à la fin de l'année s'il pouvait esperer qu'il fût encore reçu ; je vous prie de me repondre sur ce point le plutot que vous pourrez.
Avez-vous reçu la traduction de l'Algebre d'Euler, et le IV volume de Turin ? ce volume ne m'est pas encore par|venu| [47 v] et j'|en| ignore totalement le contenu. je ne sais pas meme si l'on y a inseré tous les Memoires que j'avais envoyés dans cette vue ; comme il y a apparence que vous le verrez plutot que moi je vous prie de me dire votre avis tant sur ce qui me regarde que sur le reste de l'ouvrage. On ne m'a jusqu'a present fait aucune proposition pour m'engager a retourner à Turin, ainsi je vis tranquille à mon ordinaire. dès qu'il y aura quelque chose de nouveau a ce sujet je vous en instruirai pour vous demander vos conseils et vos lumieres ; que je recevrai comme une nouvelle marque de votre amitié.
Je vous adresse cette lettre en Piccardie, parceque je m'imagine qu'elle vous y trouvera encore, mais je |vous| prie de me marquer dans votre réponse, votre adresse à Paris.
Adieu mon cher et illustre Confrere, il y a bientot dix ans que j'ai eu le bonheur de faire votre connaissance à Paris, et que j'ai conçu pour vous le plus tendre attachement ; je regarde toujours cette epoque comme une des plus heureuses de ma vie. Adieu iterum vale et me ama.