Transcription
[48 r] à Berlin ce 23 9bre
Je viens de remettre, mon cher et illustre Ami, a M. le Chevalier de Gauseins, secretaire de l'Ambassadeur de France, un paquet à votre adresse contenant un Memoire manuscrit de ma façon pour votre Academie ; c'est celui dont je vous ai parlé depuis longtems, et qui renferme des methodes generales pour construire des tables des Planetes d'après les seules observations ; vous jugerez s'il est presentable ou non, et mon amitié exige de la votre que vous ne lui faisiez point grace, a cause de moi, si vous le trouvez peu digne soit pour le fond ou pour la forme, d'occuper une place dans vos Volumes ; car je vous prie d'etre intimement convaincu que je n'attache aucun prix à mes faibles productions, et qu'on ne saurait avoir moins de pretentions que je n'ai en quoique ce soit ; vous m'obligerez donc veritablement d'examiner ce Memoire à la rigueur, et de le supprimer si vous le jugez a propos. vous me le renverriez ensuite par la premiere occasion qui s'offrirait, et je m'engage a vous en envoyer un autre sur quelqu’autre matiere.
Surtout je vous prie de ne pas le presenter a l'Academie avant d'avoir pris avis de M. d'Alembert, au jugement duquel je le soumets entierement. Il y a un siecle qu'il ne m'a fait l'honneur de m'ecrire, mais je ne puis croire qu'il soit indisposé contre moi. [48 v] il est vrai que M. Bitaubé m'a fait il y a quelque tems des complimens de sa part, et m'a dit qu'il avait remis une de ses lettres pour moi à une personne qui se proposait de venir à Berlin ; mais Dieu sait quand je la recevrai. En attendant je vous supplie de lui parler un peu de moi et de l'assurer de mes sentimens les plus tendres, et les plus respectueux. Je souhaiterais encore que vous lui demandassiez si dans le paquet que M. de la Lande a du lui remettre de ma part, il n'a pas trouvé un livre adressé au Mquis Caraccioli ; comme ce dernier m'a marqué qu'il ne l'avait pas reçu, je serais curieux de savoir ce qu'il est devenu ; vous pourriez aussi, en tout |cas| prendre des informations la dessus de M. de la Lande meme. J'attends une occasion pour envoyer à M. d'Alembert le 3 vol. de Gottingue et la pièce qui a remporté notre prix sur les lunettes ; mais comme ni l'un ni l'autre de ces deux ouvrages |ne| renferme rien d'interessant, je ne me suis pas donné encore la peine de la chercher ; et au pis aller, je pourrai attendre que je puisse lui envoyer en meme temps le volume de nos Memoires qui est actuellement sous presse.
[49 r] On m'a chargé de vous assurer que le Memoire sur l'equation seculaire de la Lune partira de Berlin vers la fin de cette année ou meme avant s'il est possible. comme vous m'avez parlé d'une lettre d'avis qu'il faudra ecrire a cette occasion pour etablir la date de la Piece, je vous prie de me dire s'il s'agit de la veritable date, ou bien d'une date supposée qui remonterait avant la cloture du concours. au reste je dois vous prevenir que vous ne trouverez dans ce Memoire rien de piquant, peut etre meme rien qui soit au dessus du mediocre ; aussi l'auteur est fort tranquille sur son sort. Je compte que vous aurez reçu à l'heure qu'il est le 4me vol. de Turin, qui parait depuis plus d'un mois ; je dois aussi le recevoir incessamment par un de mes Compatriotes qui vient à Berlin ; et vous jugez bien que j'en suis très impatient par le desir que j'ai de lire vos Memoires ainsi que ceux de M. d'Alembert ; vous ne trouverez dans les miens rien de bien interessant ; mais vous m'obligerez toujours beaucoup de m'en dire votre avis.
On m'a mandé de Turin qu'on n'y parle plus du tout de l'établissement de la Société ; peut etre a cause que le Roi a [49 v] des affaires plus importantes dans la tete ; ou peut etre aussi parceque depuis la retraite du Comte Saluce on en aura abbandonné le projet ; quoiqu'il en soit je suis fort tranquille la dessus, et je suis meme bien aise d'avoir cette espece de souci de moins. Je crois vous avoir deja dit que la Piece sur les Cometes que vous vous etiez chargé de faire parvenir a M. Formey pour notre concours, lui a été rendue ; je ne la verrai qu'à la fin de cette année lorsque le concours sera fermé ; mais j'en ai d'avance une tres bonne idée, parce qu'elle a passé par vos mains. J'ai reçu aussi de chez le Mquis de Pons Envoyé de France, le paquet que vous m'avez annoncé et qui contient les Memoires que vous avez destinés au volume de 1771 ; je n'ai pas encore eu le loisir necessaire pour les bien etudier, parceque la matiere demande une application suivie que je ne peux y donner jusqu'a ce que je sois débarassé de quelques autres objets ; il y a surtout deux articles que je me propose de lire avec toute l'attention dont je suis capable, celui qui traite des équations à différences finies et infiniment petites, et celui qui concerne la continuité des fonctions ; je ne doute pas que je ne sois extremement satisfait de la maniere dont vous les avez traités.
Adieu mon aimable et illustre Ami je vous embrasse de tout mon cœur ; quand pourrais-je vous embrasser réellement ?
|P. S. Me permettez-vous de vous prier de faire remettre l'incluse a son adresse. j'ai retiré votre lettre pour M. le Comte de Crillon ; et je vous remercie de m'avoir procuré cette occasion de connaitre une personne de son rang et de son merite.|