Transcription
[1 r] Monsîeur et Messieurs
Monsieur Franklin m’aiant fait l’honneur de me marquer qu’il avoit fait passer à votre savante compagnîe ce que je lui avois communiquê sur la navigatîon Aerostatique (comme quelque chose qui <lui> vous étoit naturellement dévolu) |et venant de recevoir de Mr de Lavoisier pour nouvelle que vous [vouliez bien vous1Cf. IDAC 175, f. 1 r.] en occupez|, jai pensé sur de nouvelles reflexions à ce sujet, que si le projet d’un premîer vaisseau et celui dune autre partie secondaire pour n’en former toujours à le bîen prendre qu’un seul et même, n’etoit pas encore suffisant pour satisfaire l’attente du publique qui <voudroit> desireroit une navigatîon en lair capable d’executer tout ce qu’on voudroit, il y avoit lieu de construire le vaîsseau aerostatique de trois globes aulieu de deux et de les reunir tous trois ensemble pour donner à cette construction la force qui pourroit contenter toute attente, autant que la possibilité peut s’etendre en cette partie, possibilité qui iroit jusqua pouvoir aller en Amerique si la region superieure de l’air n’etoit point agitée de tempêtes et qu’on put y navîger malgrê le [1 v] froid à l’aide des Poeles, lorsque <la> les vents déchaînés agîtent la surface inferieure. Mais quand ce ne seroit que pour les grands voiages de terre, voicy ce que j’auroîs à proposer de nouveau, pour vaincre l’obstacle qu’il y a dêtre maître d’emporter en lair tout ce dont la prêvoiance indique qu’on peut avoir besoin dans des entreprises majeures.
La facilitê d’un premier globe navîgable et celle d’un second qui auroit joué sur sa convexité, m’offre une troisiême facilité pour donner à cette partie du mîlîeu |que j’ajoute| tant d’allegîssement qu’elle rendroit la reunion de ces troîs globes capables de faire le même effet que ces grosses voitures acqu[i]erent sur terre par les deux points d’appui de deux roues de devant et de deux roues de derrîere. Et pour cela faire, il me suffiroit d’êtablir <[... ?]> huit semelles de sapin de quatre vîngt pieds chacune avec de bonnes décharges par dessus distantes de troîs pieds l’une de l’autre qui se revêtiroient de planches de sapin fortîfîées par en dessous par des toiles de sangle ; les quelles huît semelles seroient fermement attachêes avec des boulons de fer tout a travers des bords des galerîes du premîer globe, et du globe secondaire qui deviendroit le troîsieme, car ce pont jetté de lun sur lautre ne seroit autre chose qu’une galerie traversant un globe construit sur le modele du premier à l’exception que tout le dessus et le dessous de cette galerîe înterieure qui n’auroit que huît pîeds délévatîon seroit remplie dair inflammable en mettant en dessus un globe qui auroit <huit> six pîeds si [2 r] on <vouloit> desiroit délévation de plus pour se trouver au même nîveau des autres. Cette galerîe (ou ce pont si on vouloit) recevroît toute la charge d’eau de vin de farine de bois de provisions de toute espece de malles & je prêférerois trois globes à une construction de trois cent pieds de long faite toute d’un seul tissu pour avoîr bîen plus de facilité à remedier à quelque inconvenient que ce fut sil venoit a arriver quelque accident. D’ailleurs le vuide à droit[e] et le vuide à gauche entre le premîer et le second globe offriroient dun <p> coté un puit tout fait pour descendre et monter la charge du vaîsseau à l’aide du cabestan, aulieu de faire dans le corps du vaîsseau selon le premîer projet. De l’autre coté on etabliroit un escalier pliant et suspendu par des cordes dune marche à l’autre pour descendre et monter dans le vaîsseau. Ces cotés en consequence demanderoient a être garnis de toiles qui ne laisseroient voir en dehors qu’une surface unie, et par ce moien on feroit dans le bas un encadrement de porte par laquelle on entreroit et on sortiroit à volonté. En tenant en outre les deux approches du second et du troîsiême globes comme collées lune à lautre on les reuniroit parfaitement au dehors. Mais y auroit il de l’inconvenient à mettre la couverture des globes du dessus toute d’une pîece comme le toit d’une maison ? Dut on y remettre encore deux globes, cela allegiroit d’autant le vaîsseau [2 v] entier, et quelle force de monde cela ne donneroît il pas ? Pour des entreprises de voîages heureux, pour rapporter ce qu’on voudroit des paîs les plus éloignés. En se <represantant> representant qu’il y auroit dîx globes qui se soulevoîent proportionement à la charge qu’on auroit ou qu’on voudroit prendre <il [?]> on tireroit un grand parti surtout des deux du milieu |lun| de la partie de devant et |lautre| de la partîe de derrîere. Il faudroit sans doute des Poeles et des colonnes à proportion du tout et de la matîere de gaz a la proportion |aussi|, mais les poeles ronds en forme de cloche ne seroient point une charge considerable, |encore les poeles et les colonnes pourroient se transporter|. Je repete qu’a moins qu’on fut sur de pouvoir se mettre au-dessus de la tempête en montant dans un air qu’on put tempérer en forcant de feu, îl faudroît prendre ses suretês contre le vent qui feroît perdre la lîgne de sa dîrection, en faisant descendre le vaîsseau à terre en ly mettant en ce moment la dans la dîrectîon du vent et en l’y assujetissant bien de toute[s]parts. On a encore la ressource de vuider les globes de dessus et de s’applatir pour ainsi dire de toute part pour se debarasser des grandes ventouses dont on pouroît être excedes. On pourroit executer le vaîsseau aerostatique en plus petît volume mais le pont du mîlieu me paroît etre une grande decharge. C’est avec les sentimens les plus elevés a votre sujet que jai lhonneur dêtre
Monsîeur & Messieurs Votre tres humble et trés obeîssant serviteur
Guerin De Beaumont
1er mars 1784