Transcription
[1 r] A l’Ecole Royale Militaire Ce 5.e 8.bre 1778.
Monsieur
vous avez donnéz des jeunes gens a mon gendre pour les diriger dans une partie importante de leurs études ; il vous a des obligations qu’il n’oublira jamais. Je n’oublirai pas non plus celles que |je| vous dois, Monsieur, par le choix (qu’un grand homme, que tout le monde reconnoitra a ce titre pour M. Turgot,) avoit fait de moi d’aprés vôtre avis et en consequence d’un petit ouvrage que j’ai fait, pour mettre en execution un objet bien important pour le Gouvernement, puisqu’il tendoit au bien du public, mais, qui n’a pas eu son effet par une fatalité attachée aux évènemens de ce monde. J’ai été avec mon gendre, M. Verkaven, pour avoir l’honneur de vous voir, Monsieur, et vous faire part de son entrée avec moi a l’Ecole militaire ; etant persuadé que cela vous fera autant de plaisir que j’en ai a vous temoigner ma reconnoissance et a vous assurer que mon attachement pour vous, Monsieur, ne finira qu’avec ma vie.
[1 v] J’ai l’honneur de vous faire part d’un petit phénoméne curieux je crois, puis qu’il est trés rare, que j’ai observé hier 4.e 8.bre a 6-heu. 50’ du soir, c’est a dire 1-h 10’ aprés le coucher du Soleil <et> et vers la fin du crepuscule : En me promenant dans le Champ de Mars, j’ai vu vers le nord, au dessus du Cours de la Reine et a une demi-lieue de l’Ecole militaire que j’habite, un arc-en-ciel lunaire denviron 80.°, dont lune des extremités touchoit l’horizon au Nord-ouëst et qui s’elevoit directement vers le Sud ; sa hauteur étoit d’environ 40.°, et son centre peu éloigné de l’horizon par consequent : sa durèe a été aussi denviron un quart-d’heure. Cet iris lunaire quoique plus foible (mais aussi large) que ceux solaire, etoit cependant frappant par son eclat, car les rayons de la Lune sur le nuage étoit reflechis assés clairement pour y distinguer differentes couleurs, telle que le Jaune et le Rouge ; les autres nuances qui formoient les differentes couches concentriques, etoient beaucoup plus pâles. [2 r] la Lune qui etoit levée depuis 1h 20’, m’a paru elevée environ 20° au dessus de l’horizon ; (ce qui est |d’ailleurs| facile a calculer). Ce satellite qui étoit a deux jours de son plein, etoit aussi entouré de nuages épais en forme de Couronne, qui laissoit <echaper> une espace vide et circulaire par ou sés rayons étoient lancés sur la pluie, le reste de l’horizon étoit obscur, c’est a dire que le ciel etoit couvert de nuages, excepté une espece de trouée par ou s’echapoient les rayons de la Lune. Jetois situè entre la Lune et le météore, c’est a dire qu’en regardant larc-en-ciel, j’avois le dos tournéz aux rayons directe de la Lune : il ne pleuvoit pas au lieu que j’occupoit. |J’apprend aussi dans l’instant par M. Rousseau professeur de fortification icy, qu’il a vu |aussi| cet <arc lunaire> arc-en-ciel lunaire, trés distinctement, étant sur la place des Invalides lorsqu’il la vut se former et finir, de même que moi, au dessus du cours la Reine.|
On trouve dans les mem. de lacad. des sçiences, deux phénomenes seulement a peu prés semblable. Le 1.r en 1666 observé par le grand Cassini, il parut avant le coucher du Soleil et il finit 8’ aprés. Le second en 1770, fut observé par M.r Duséjour, le pere, vers les 10.h du soir. Le premier n’a pas l’avantage de celuy-cy n’y du notre, puis qu’il s’est passé encore la majeure partie du tems en plein jour. [2 v] Celui que j’ai observé en presence de M.r de l’Esguille confre [i. e. confrère
], homme d’esprit et trés instruit, peut-etre regardé comme le deux-ieme arc-en-ciel Lunaire seulement dont il sera fait mention dans les mem. de lacad. des sçiences, si vous le jugéz <digne>, Monsieur, digne d’etre mis dans l’Histoire des ouvrages de cette compagnie célebre.
Je suis avec respect Monsieur le Marquis vôtre trés humble et trés obeissant serviteur
Dez1Ruche.
Professeur de Mathématiques de l’Ecole Royale Militaire.