Transcription
[219 r] Ce 4 avril 1774. Paris rue de Louis le Grand.
Vous avez <assu [?]> surement oublié, Monsieur, un jeune Geometre qui accompagnait M. D’Alembert dans son dernier voiage à Geneve, mais il n’a pas oublié ni vos bontès pour lui ni les belles experiences que vous lui avez fait voir. Il vient d’entendre parler d’un projet que vous aviez doné pour la réforme du college de votre ville, il n’a point perdu un moment pour se le procurer et pour le lire, et il vous prie de recevoir avec bonté ses remercimens du plaisir que vous lui avez fait, et ses observations.
Il n’y a pas longtems que dans un grand royaume de <l’Eup> l’Europe on proposait serieusement de <créer> former un nouveau troupeau de moines pour lui confier l’education de la jeunesse : |et| et les fauteurs de ce projet pretendaient qu’il etait impossible que les enfans fussent bien elevés par d’autres que par une horde monacale. A Geneve vous avez <votr [?]> d’autres idées, aussi faites-vous imprimer vos projets, vous ne craignez |point| que les homes eclairés de l’Europe [219 v] entiere vous jugent, tandis que dans le royaume dont je vous parle, les zeles restaurateurs d’une institution fanatique, se cachaient dans l’ombre, ne s’appuiaient que sur l’intrigue, et n’osaient ni se nomer ni avouer leur projet. Puisse le votre reussir come le leur a échoué, puissiez-vous |en| recueillir la gloire et les benedictions de vos concitoyens, come ils ont recueilli le ridicule et l’opprobre.
Je trouve que vous vous pressez trop de faire apprendre la mythologie aux enfans. Cependant <il [?]> cela doit dependre du tems ou ils comenceront le cathéchisme ; |car| je crois <très important de [?]> qu’il faut bien se garder |surtout| de ne faire apprendre à la fois qu’une seule mithologie. <Mais il> Il me semble que cela ne devrait pas entrer dans la partie serieuse de l’education mais <faire> dans la partie des lectures amusantes. Ce point a toujours été trop négligé. On a trop fait aux enfans un devoir de tout ce qu’ils apprennent.
[220 r] Les exercices moraux que vous proposez seraient excelens ils me paraissent former la partie la plus <difficile> importante mais aussi la plus difficile de votre projet. Vous n’insistez pas assez du moins a ce qu’il me semble sur ces difficultés. Ni la fable ni l’histoire ne me paraissent devoir entrer dans l’education, mais seulement des fables et des histoire detachées que les enfans puissent entendre, qui ne leur donent pas de fausses idées, qui ne leur inspirent pas une curiosité dangereuse. Il y a tant de massacres, <et> d’incestes, de debauches dans l’histoire <des> de tous [les] anciens peuples, qu’il faudrait sur tout cacher aux enfans celle des tems heroiques ou <patriarch> patriarcaux. La confection d’un livre <de t> <remplis> rempli de traits historiques propres à chaque age, et ecrits de maniere qu’il n’y eut aucun mot que les enfans ne pussent entendre me parait presque au dessus des forces ou plutôt de la bonté humaine car il faudrait se donner des peines incroiables pour faire un livre qui paraitrait plat à tous [220 v] les lecteurs.
La maniere dont vous proposez de suivre l’etude de l’histoire naturelle ne me parait |pas| celle qui convient aux enfans. Je ne voudrais leur parler d’aucune division des mèthodistes que lorsqu’ils seraient deja fort avancés. Ce qu’il [y] a autour de Geneve d’animaux, de plantes et de végétaux suffirait pour faire un excelent cours d’histoire naturelle. Ce qu’il faut d’abord apprendre aux enfans c’est a voir. On pourrait leur faire remarquer la forme exterieure des differentes substances leurs proprietes, leur faire <fa [?]> voir les experiences de Phisique les plus simples, <l [?]> avec un ordre qu’on leur cacherait, et ne leur dire que dans les deux dernieres de leurs six années <que> qu’il y ait1Lire : a
. des sciences appelées histoire naturelle, Phisique et chimie.
[221 r] Je pense que le meilleur secret pour conserver les meurs des jeunes gens est de multiplier les exercices du corps. S’ils ne sont jamais assemblés en récréation que pour faire quelque exercice violent, s’ils ne se couchent jamais que fatigués de leur récréation, ils n’auront pas le tems de se corrompre, <[... ?]> surtout a Geneve, ou les meurs sont pures en general, où ils ne sont pas élevés |come chez nous| par des bigots imbécilles, ou par des débauchés hypocrites, ou enfin on <[... ?]> ne tiendra pas trois cent jeunes gens renfermés sous la clef, <sans2Ou sous
?> et entassés les uns sur les autres. Si un de vos écoliers devient home, il sera amoureux de la fille de son voisins [sic] et voudra l’epouser. Au lieu que dans nos tristes colleges, <ou la vue des femmes> il est necessité de contracter un vice.
Telles sont, Monsieur, les premieres réflexions que la lecture de votre ouvrage m’a inspirées, Je vous les ai ecrites come elles se sont presentèes <comptant> parce que je compte sur votre indulgence.
[221 v] J’ai l’honeur d’être avec la plus haute estime et l’attachement le plus inviolable, Monsieur, votre très humble et trés obéissant serviteur.
Le Mis de Condorcet.3Paraphe soulignant.