Transcription
[140 r] Ce 9 Aoust.
J’ai reçu avec reconnaissance, Monsieur, le bel ouvrage que vous avez bien voulu <l'> m’envoier. Je suis trop ignorant en histoire naturelle pour en sentir tout le merite, et je |le| lis pour m’instruire. Vous, et M. <Sa> Spalanzani votre ami vous avez plus fait pour le progrès de cette science que ceux qui ont voulu nous apprendre coment les cometes s’y prennent pour faire des <cometes> planetes et les etoiles fixes pour faire des cometes. Il <leur> ne leur manque plus que de savoir faire des etoiles fixes.
Je vous avouerai que j’ai été un peu faché de la maniere dont vous traitez M. de Voltaire non à cause de lui qui avait bien merité de vous quelques répresailles, mais pour vous même. Vous le comparés à un papillon, et Haller à Hercule. Je sais bien que les singularités de la nature ne valent pas la decouverte de l’irritabilité. Mais il n’y a pas moins loin des poëmes de Haller, a Mahomet et a Zaire, <des romans politiques> du roman politique d’Ussong, a Zadig, à Candide. D’ailleurs M. de Voltaire n’etait pas seulement un poëte, compterez-vous pour rien d’avoir combattu avec succès soixante ans contre les abominables sotises dont l’Europe etait infatuée et qui avaient fait repand[r]e le sang de dix millions d’homes. <Je sais bien> J’avoue que M. de Voltaire s’est souvent trompé en histoire naturelle, mais M. de Haller ne se trompait-il jamais ; et si on examinait avec un œuil critique <le> ce qu’il a écrit d’étranger á l’anatomie, n’y trouverait-on rien a reprendre. Ces refutations de Voltaire dont vous parlez sont absolument inconnues en France. Je sais |seulement| que M. de Haller croiait [140 v] la dignité <de> des senateurs de Berne interessée a soutenir envers et contre tous la verité de ce qu’avait pensé jadis le picard Jean Chauvin : qu’il haissait dans Voltaire l’apotre de la tolerance et de la liberté : on pretend même qu’il voulut un jour etablir un cordon de troupes pour empêcher une opinion sur la grace de <perv> penetrer dans le pays de Vaud. Mais on pardone ces faiblesses à un grand home, on lui desirerait un caractére plus humain, moins ennemi de la liberté de penser, <mais on l’excuse> |le 1er droit des hommes, et| on l’excuse sur <l'> son education, sur ce qu’occupé de l’étude des corps il n’a pas eu le tems de reflechir assez sur d’autres objets. Pourquoi ne point avoir la même indulgence pour M. de Voltaire ; il y a plus de droit que persone, jamais il n’a fait que du bien. Un <fond> sentiment d’humanité que persone n’a jamais peut-être porté au même degré l’a emporté sur l’impetuosité naturelle de son caractere.
Votre opinion sur la generation fortifiée des nouvelles recherches de M. Spalanzani a tous les caracteres de la vérité : mais certaines circonstances des mulets me paraissent encore une objection bien forte. Le mulet tient de l’ane son pere la conformation de l’organe de la voix. La jumard tient du Taureau des ressemblances non moins frappantes. Il faudrait du moins montrer dans la mere ces mêmes parties moins developpées.
[141 r] J’ai presenté à l’academie les volumes qui lui etaient destinés et elle m’a chargé de vous en temoigner sa reconnaissance. La mienne n’est que celle d’un écolier |à| qui votre maniere d’écrire, et de presenter les objets rend l’etude plus agreable et plus facile.
Daignez agréer, monsieur les assurances de l’attachement respectueux avec lequel j’ai l’honeur d’être Votre trés humble et trés obéissant serviteur
le Mis de Condorcet.1Paraphe soulignant.
[141 v vierge]