Transcription
[1 r] Ce 23
Je ne sais rien, mon cher et illustre maitre, de l’affaire de M. de Lille de Sales. M. le garde des Sceaux ne lui trouve d’autre ressource que d’appeler au Parlement de la sentence du Chatelet ; et il peut tenter cette voie sans danger par ce qu’il le peut faire de loin. Mais le Parlement convertirait son décret en un decret plus doux, il faudrait le subir, comparaitre et peut-être essuier un arret ridicule. Rousseau a eu un sauf conduit dans un cas plus facheux, mais il est etranger. M. de Lille a fait autrefois la correspondance du roi de Prusse pour Thiriot. <Il> Le roi pourrait le naturaliser Prussien, le faire membre de son academie, de son université, et demander ensuite un sauf conduit. Mais il faudrait [1 v] ensuite savoir si ce sauf conduit met á l’abbri des effets civils du décret.
Le parlement va donc faire des remontrances en faveur des corvées. Et des maitrises dont en 1581 il refusa l’etablissement pendant deux ans. Il est moins avancé vers la raison qu’il ne l’etait il y a deux siecles. Remarquez que dans le 16e siecle Montagne, La Boetie, Hubert Languet, Bodin, <d [?]> |Viete et| tant d’autres etaient magistrats que dans le suivant vers le |comencement| Frenicle, Fermat, De Thou, La Mothe le Vayer, l’etaient egalement. Depuis la robe n’a produit qu’un seul home d’un veritable merite, Montesquieu dont l’esprit de cet état a gaté l’ouvrage. La magistrature composèe autrefois de l’elite des esprits, n’en a plus que la lie. [2 r] On ne reste dans le parlement que lorsqu’on est incapable de rien faire de raisonable. Montesquieu lui même quitta son corps <dans l’instant même> dès l’instant où il se sentit du talent. Ne soyons donc pas surpris du mepris que les corps de magistrature meritent et qu’ils ne sont pas loin d’obtenir.
Il y aura un lit de justice la semaine prochaine à ce qu’on pretend. <R> Celui que vous nomez Rosni et qui vaut bien mieux que Rosni est inalterable. Le roi a dit en apprenant les remontrances, Je vois bien qu’il n’y a que M. Turgot et moi qui aimions le peuple. Ce discours est très vrai. Ne craignez donc rien pour le salut de la France attaché à cette affaire. J’oserais dire pour le salut du genre humain si M. Turgot succombe jamais à la rage des |trois| canailles qui n’en font qu’une contre lui, il restera dans la [2 v] tête des homes que les gens éclairés et vertueux ne sont pas propres au gouvernement ; et l’univers demeurera <condammé> condamné aux tenebres et au malheur. Adieu, je vous embrasse, ne craignez rien, esperez et aimez-moi un peu.