Transcription
[1 r] ce samedi 25.
Vous voyez bien, monsieur, que je prends un secretaire, et que tout de mauvaise humeur qu’il est, cependant il ne fait point de difficulté d’ecrire pour vous. Je ne finirois point si je vous disois combien je suis touchée de toutes les marques de votre amitié ; j’y reponds par la sensibilité la plus tendre ; mais j’ai bien des remords d’etre aussi peu occupé de votre plaisir, de ne vous avoir pas mandé de nouvelles, enfin de n’avoir pas fait pour vous ce que surement vous feriez pour moi si j’etois absente ; mais du moins, si cela peut m’excuser, je ne fais pas mieux pour d’autres. Votre absence de Paris a du faire un grand vuide à m.r Turgot ; il est bien peu informé depuis votre depart. Je vous regrette tous les jours, monsieur, & je vous attends avec impatience ; mais il y a des jours où vous me manquez absolument. Par exemple j’ai entendu ces jours-ci les Barmecides de m.r de La Harpe, où il y a de trés beaux vers, et qui en tout m’a fait le plus grand plaisir ; & je disois, si m.r de Condorcet etoit ici j’aurois encore du plaisir demain ; il auroit retenu tout [1 v] ce qu’il y a du plaisir à se rappeller. Il nous a lu avant hier des stances charmantes , qui sont des regrets d’un amant quitté ; Eh bien, monsieur, de tout cela nous n’en avons pas retenu un mot mon secretaire et moi, nous savons seulement que cela nous a fait plaisir. M.r de Clausonnette qui vous aime de tout son coeur, & qui vous écrit souvent, me console un peu de ce que je ne fais pas pour vous ; car vraisemblablement il vous mande tout ce qu’il fait, et il fait beaucoup mieux que moi. Vous trouverez ici quelques nouveautés à votre retour, par exemple le Colisée ouvert, m.r de Clausonnette vous en parlera, car il y a eté. Ce qui me fâche fort, c’est qu’il ne reussit pas dans les affaires qui l’ont fait venir à Paris. Il n’y a point de bonheur que je ne lui souhaite et qu’il ne merite. M.r d’Anlezy qui est dans son chateau me parle de vous, & ce qui vous etonnera, c’est qu’il sent tout ce que vous valez. Adieu, monsieur, le secretaire vous embrasse [2 r] & trouve qu’en voilà assez. Ce mot est son cachet, et vous y reconnoîtrez sa grace enchanteresse. Les Suard, Morellet &c. en un mot tous nos amis vous aiment, vous regrettent et vous attendent.
[2 v] [Adresse et tarif postal]