Transcription
[15 r] à Berlin ce 30 Sept. 1771
Mon cher et illustre Ami, je ne saurais vous exprimer combien j'ai ete enchanté de recevoir une marque de votre souvenir. quoique notre correspondance souffre souvent d'assés longues interruptions, je me flatte que votre amitié n'en est pas moins inalterable, et je n'ai jamais cessé d'y repondre par toute la mienne. je sens tout le prix du sufrage dont vous voulez bien honorer mes faibles travaux, et je vous en remercie de tout mon cœur. je suis surtout tres sensible à l'honneur que vous me faites en donnant un precis de ma methode pour la resolution des equations numeriques, dans les supplemens de l'Enciclopedie ; cette matiere, l'une des plus importantes de l'analise, et asses negligée jusqu'ici, ne peut que gagner beaucoup en passant par vos mains. il est bon qu'elle se trouve developpée dans un ouvrage tel que l'Enciclopedie, et qu'elle puisse devenir par la aussi familiere aux Geometres que son importance l'exige. Quant à mes recherches sur les problemes indeterminés, je vous suis d'autant plus obligé d'avoir pris la peine de les lire que je vous croye le seul qui m'ait fait cet honneur ; car M. Euler qui s'est beaucoup occupé autrefois de ce sujet et qui en a fait longtems ses delices m'a mandé que la perte de sa vue ne lui ayant pas permis de lire mes memoires, il n'avait cependant pas manqué de [15 v] se les faire lire, mais qu'il lui avait ete impossible de suivre mes raisonnemens et mes calculs. J'ai taché de les <rendres> rendre un peu plus clairs et plus concis dans des Additions que j'ai faites a la Traduction francaise de l’Algebre Allemande d'Euler. je ne sai si j'y ai reussi, vous en jugerez dès que cet ouvrage paraitra. j'ai chargé l'imprimeur, M.r Bruiset, de Lion, de vous en faire remettre un exemplaire de ma part, et je |vous| prie d'avance de l'accepter comme une marque de ma haute estime et du desir que j'ai de meriter la votre.
La demonstration que vous donnez de mon theoreme sur la resolution de l'equation est tres bonne, mais elle n'est, ce me semble qu'a posteriori. je me suis servi de cette meme methode pour le verifier en general des que je <l’eût> l'eûs trouvé. ce qui reste a trouver c'est une methode directe et a priori et independante de la theorie des equations pour prouver en general que si l'on a l'equation
on aura aussi
,
quelles que soient les fonctions et . De la il s'ensuivrait d'abord <que> l'equation ; car faisant [16 r] dans la seconde série, elle deviendrait
,
laquelle etant retranchée de la premiere, on aurait .
J'ai lu avec la plus grande satisfaction votre Memoire sur les suites infinies, et j'y ai trouvé des vues tres profondes et tres ingenieuses, sur cette matiere. je souhaiterais seulement que vous eussiez pris la peine de descendre dans de plus longs details pour en faire voir l'utilité et l'application ; peut être les trouverai-je dans les Memoires que vous destinez au volume de 1771, et dont j'ai d'avance une grande idée. La methode d'approximation que vous donnez à la page 218 m'a paru tres belle, et j'ai d'abord voulu en faire l'application a l'equation
,
que j'ai traitée ailleurs (, , etant des coefic. const. et une quantité très petite) ; voulant pousser l'exactitude jusqu'aux termes de l'ordre de inclusivement j'ai employé le multiplicateur
,
, , , etc. étant les fonctions det et ayant négligé les quantités au dessus de , et achevé le calcul j'ai trouvé que la valeur de en contiendrait des arcs de cercle quoique elle ne doive point en contenir, et n'en contienne point en effet suivant ma methode. Il ne me reste de papier que pour vous embrasser, et vous renouveller les assurances de ma tendre et inviolable amitié. M. Bernoulli m'a chargé de vous faire ses tres humbles complimens.
[16 v] [Adresse et marques postales]