Transcription
[19 r] à Berlin ce 5 Avril 1773.
Mon cher et illustre Ami, j'apprends dans ce moment par les gazettez que vous avez enfin obtenu la place de Secretaire de l'Academie à laquelle vous aspiriez, et je prends sur le champ la plume pour vous en feliciter. je suis charmé que cette Compagnie vous ait rendu la justice qu'elle vous devait, et qu'elle ait fait un choix si digne d'elle et si avantageux aux sciences. je suis surtout en mon particulier tres enchanté de vous voir occuper cette place dans un corps dont j'ai l'honneur d'etre membre, et auquel je ne suis maintenant que plus glorieux d'appartenir.
S'il depend de vous, comme je n'en doute pas, de hater la publication du 9eme volume du recueil des Prix, je vous prie de vouloir bien vous employer pour qu'elle ne soit pas différée plus longtems. je suis impatient, et le public doit l'etre aussi, de voir les deux Pieces de M. Euler sur la Lune dont il a [19 v] lui meme parlé avec tant d'emp|h|ase, et qu'il a annoncées, surtout la derniere, comme un ouvrage achevé.
M. le Marquis Caraccioli, que je vous prie de vouloir bien assurer de mes respects, me mande que vous avez fort approuvé le sujet du Memoire que je destine pour votre Academie, et |que| je compte de lui envoyer par la premiere occasion que je pourrai trouver. je ne sais si vous serez egalement content de la manière dont je l'ai traité ; mais je compte beaucoup sur votre indulgence, ainsi que sur celle de M. d'Alembert et de tous les autres Geometres. Je n'ai pas encore eu le loisir necessaire pour m'occuper de la théorie des equations a differences partielles avec toute l'application qu'elle demande ; et pour etudier à fond ce que vous avez fait sur cette matiere. Parmi les decouvertes que vous y avez faites il en est une qui merite ce me semble la plus grande [20 r] attention, et qui peut donner lieu à des reflexions importantes sur cette espece d'analise ; c'est que toute équation a différences partielles d'un ordre superieur au premier n'a pas toujours une integrale d'un ordre immediatement inférieur, quoique elle puisse avoir d'ailleurs une intégrale finie. Quoique je sois assuré a posteriori de la verité de cette proposition, j'avoue que je n'en vois pas encore assés bien la raison a priori ; et je me flatte de trouver dans vos autres Recherches les éclaircissemens qui m'y paraissent nécessaires.
Voici un theoreme assés simple que j'ai trouvé depuis peu, relativement à l'integration des equations à différences partielles du premier ordre. Si l'on a une equation entre , et , et qu'on connaisse une valeur particuliere de , laquelle ne renferme point de fonctions arbitraires, mais qui contienne cependant deux constantes arbitraires, on peut toujours par son moyen trouver l'integrale complette. Et il est remarquable que toutes les [20 v] equations de cette espece qu'on a integrées jusqu'a present par differentes voies peuvent l'etre par ce theoreme, parce que les integrales particulieres se presentent naturellement ; c'est ce que j'ai fait voir dans un Memoire que je viens de lire à l'Academie sur ce sujet. On peut etendre le theoreme aux equations qui renferment , , , , et il faut alors que la valeur particuliere de renferme trois constantes arbitraires ; et ainsi de suite.
Je vous prie de me rappeller dans le souvenir de M. d'Alembert, et de l'embrasser pour moi ; j'attends avec impatience l'envoi que M. de la Lande vient de faire à M. Bernoulli, parce que je compte y trouver un paquet de sa part contenant le reste de ses derniers Opuscules ; c'est pourquoi je remets à lui ecrire que j'aie reçu ce paquet.
Adieu, mon tres cher et tres illustre Confrere, je vous embrasse de tout mon cœur.