Transcription
[30 r] à Berlin ce 1 Octobre 1774.
Voici, mon cher et illustre Confrere, le memoire que je vous ai promis. il a besoin de toute votre indulgence et de celle de vos Confreres ; je vous prie de ne le presenter à l'Academie que lorsque vous et M. d'Alembert l'aurez examiné. quoiqu'il m'ait couté beaucoup de travail, à cause des calculs numeriques que j'ai été obligé d'entreprendre en faveur des Astronomes, je suis bien eloigné d'y attacher le moindre prix ; et je m'en rapporte entierement à votre jugement et à celui de notre illustre Ami. j'adresse le paquet à M. de Maurepas, ainsi que vous me le marquez ; dès que vous l'aurez reçu je vous serai infiniment obligé de m'en donner avis, pour m'oter toute inquietude a <cet> son egard.
Vous avez du recevoir deux ou trois de mes lettres ; j'ai reçu a mon tour tous vos paquets. je vous remercie de tout mon cœur des feuilles que vous avez bien voulu m'envoyer ; tout ce qui me vient de vous m'est doublement precieux, j'aime vos ouvrages et comme ceux d'un des premiers savans de ce siecle, et comme ceux d'un de mes meilleurs Amis. J'ai lu votre histoire de l'Academie ainsi que l'eloge de Fontaine avec une satisfaction que je ne saurais vous exprimer ; votre maniere me plait infiniment, et je la prefere a plusieurs egards à celle de Fontenelle ; vous avez du moins sur lui l'avantage d'etre bien versé dans les matieres sur lesquelles vous raisonnez ; j'ai trouvé souvent dans les articles de geometrie et de mecanique de Fontenelle un galimatias inintelligible ; a force de vouloir mettre les choses à la portée du commun, il devenait souvent obscur pour les savans.
Vos theoremes sur les quadratures m'ont donné lieu d'admirer de plus en plus votre génie et la force de votre tete ; quand meme ces theoremes seraient sujets a des exceptions, il y aurait toujours beaucoup de merite à s'etre frayé une route nouvelle dans des matieres déja si rebattues ; il me reste cependant un scrupule sur l'exactitude de votre methode ; car il ne suffit pas, ce me semble, [30 v] de prouver que le nombre des coeficiens indéterminés contenus dans , , peut toujours etre supposé plus grand que le nombre des conditions a remplir ; il faut encore que ces conditions soient telles qu'elles renferment réellement autant de quantités indéterminées qu'on en a supposées. Soit, comme dans le th. 3, la courbe representée par l'équation ; je suppose que cette courbe soit carrable algebriquement, en sorte que l'on ait ( etant une fonction algebrique rationelle, et entiere de et du degré ) ; j'aurai de cette maniere coeficiens indéterminés , , &c. or en differentiant j'ai , ou , et sont des fonctions de et du degré ; mais l'equation de la courbe donne , ou , et sont des fonctions algebriques du degré ; donc substituant après avoir multiplié par on aura , equation qui après la substitution de la valeur de tirée de l'equation à la courbe doit devenir nulle identiquement. Or il est visible que le premier membre de cette équation sera du degré ; donc elle contiendra après la substitution toutes les puissances de jusqu'a , et celles de y jusqu'à seulement ; donc le nombre de ses termes sera (en faisant ) ainsi il <y> n'y aura que conditions à remplir, tandis qu'il y a , ou plutot indéterminées, à cause que la différentiation en fait d'abord disparaitre une ; [31 r] or etant donné on pourra toujours prendre tel que le nombre des indéterminées |soit égal ou| surpasse celui des conditions ; donc, &c. Par exemple si , on aura conditions, et indéterminées, en sorte que, prenant on aura < [... ?] > |cinq| conditions et <deux> cinq indéterminées ; d'ou il s'ensuivrait que l'aire de toute courbe du 2d degré pourrait etre supposée . Vous demelerez aisément le vice de ce raisonnement, et vous jugerez aussi si votre methode est sujette aux memes inconveniens que la précédente.
Le jugement que vous portez sur les methodes de M. Fontaine me parait fort juste ; j'ajouterais cependant que les deux suppositions sur lesquelles est fondée sa methode de resoudre les equations sont precaires et fausses dans plusieurs cas. Je suppose par exemple une équation du 5eme degré dont les racines soient de la forme , , , , (, , , , etant des quantités reelles positives et , , , ) si on fait on trouvera cette condition , et il n'est pas difficile de demontrer a priori, par la nature meme des équations, que la fonction sera de cette forme
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or il est visible que cette fonction qui devient nulle lorsque ne sera pas toujours ou lorsque ; car quoique les facteurs ne puissent jamais changer de signe tant que , on voit neanmoins que le facteur peut devenir dans cette supposition positif, ou négatif et meme nul.
[31 v] quant à la seconde supposition de M. Fontaine, elle est encore plus sujette à caution que la premiere ; je pourrais vous communiquer une autre fois les remarques que j'ai faites sur toute cette théorie, si vous en etiez curieux ; je les ai mises par ecrit sur des paperasses que je n'ai pas a present sous ma main.
Je vous prie de remercier de ma part MM. de la Place et de Vandermonde de ce qu'ils ont bien voulu m'envoyer ; je repondrai a ce dernier au premier jour ; je dois <aussi> depuis longtems une reponse au premier, dont je ne manquerai pas de m'acquitter aussi ; en attendant je vous prie de vouloir bien leur faire mes excuses et leur dire que j'ai lu leurs recherches avec le plus grand plaisir. Je ne merite en aucune façon l'honneur que l'Auteur de la Piece sur les Cometes veut me faire ; et je le supplie de vouloir bien m'epargner la confusion que me causerait une distinction dont je me reconnais si peu digne ; ma reconnaissance n'en deviendra par la que plus grande ; je ne doute pas que les additions que l'Auteur se propose de faire à cette Piece ne la rendent aussi parfaite qu'on peut le desirer, et je suis convaincu que notre Academie se trouverait très flattée d'avoir un pareil ouvrage à couronner.
Adieu mon cher et illustre Ami, je vous embrasse de tout mon cœur, et je me reccomande a votre precieuse amitié.
je joins ici une lettre pour M. d'Alembert, que je vous prie de vouloir bien lui faire remettre.