Transcription
[34 r] à Berlin ce 3 Janvier [1777]
J'ai recu, mon cher et illustre Ami, tous les presens que vous m'avez envoyés par M. Spener. je ne puis vous dire combien je suis sensible a ces marques de votre souvenir et de votre amitié. votre eloge de la Condamine m'a paru extremement beau et m'a confirmé dans l'idée que je m'en etais faite d'après quelques morceaux que j'avais lus dans les journaux. quelque peu ambitieux que je sois je vous avoue que mon amour propre est très flatté de l'idée d'avoir après ma mort un pané|gi|riste tel que vous ; je fais des vœux pour que vous puissiez surpasser Fontenelle en age autant que vous le surpassez deja dans tout le reste.
Les pensées de Pascal me font beaucoup de plaisir ; l'eloge et les notes rendent cette edition bien precieuse ; comme je ne la connaissais pas je vous ai la plus grande obligation de m'en avoir envoyé un exemplaire. A l'egard de votre ouvrage sur le commerce des bleds, je n'en puis gueres juger ; il me semble que les données sont encore trop vagues pour qu'on puisse etablir quelque chose de bien certain sur ce sujet ; il ne m'a cependant pas moins plu par la maniere dont il est ecrit, et je vous remercie du plaisir que sa lecture m'a donné.
Je vais repondre maintenant a votre lettre du 6 Aout. je suis enchanté que vous ayez gouté mon memoire sur lesintegrales particuli[ères ;] [34 v] ce que vous m'en dites m'en donne une meilleure idée que je n'en avais ; mais je n'ai garde de prendre vos eloges à la lettre. J'attends votre ouvrage sur le calcul integral avec beaucoup d'impatience. un pareil ouvrage est devenu maintenant bien nécessaire, surtout après toutes les découvertes que vous avez faites dans cette matiere ; et il n'y a que vous qui puissiez le bien executer.
Le theoreme que M. Euler vous a envoyé revient a celui que j'ai trouvé dans mon mem. : Sur le milieu a prendre entre plusieurs observations (Mem. de Turin, tom. V p. 177) ; mais la methode par laquelle vous le demontrez est la seule directe ; peut etre par le moyen de cette methode parviendrait-on a d'autres theoremes du meme genre pour les puissances superieures au carré. J'ai vu dans le dernier volume des transactions philosophiques un <memoire> theoreme de M. Landen qui me parait bien singulier. il reduit la rectification des arcs elliptiques a celle des arcs hyperboliques. je n'ai pas encore eu le tems d'examiner s'il n'y a point de paralogisme dans la demonstration.
Je |vous| prie de remercier de ma part M. de Vandermonde de la lettre dont il m'a honoré. les theoremes qu'elle contient sont très beaux ; et je ne puis assés admirer avec combien de sagacité il traite ces sortes de matieres si difficiles et si compliquées. tout ce que [35 r] j'ai vu de lui jusqu'ici me donne l'idée d'un genie bien rare, et je le crois destiné a faire les plus grandes decouvertes dans l'analise. je ne me manquerai pas de lui repondre ; en attendant je vous prie de lui faire tous mes complimens.
On croit ici generalement que M. d'Alembert viendra cette année à Potzdam ; je ne vous dirai pas combien je le souhaite, mais je n'ose encore m'en flatter. Si quelque chose pouvait augmenter ma joie de revoir M. d'Alembert, ce serait de pouvoir vous embr[asser] avec lui. je vous assure que ce voyage vous ferait [beaucoup de] bien, et vous seriez recu comme vous l'auriez [été en Ita]lie, et mieux encore s'il est possible.
Embrassez bien M. d'Alembert pour moi ; je compte q[u'il] aura recu la lettre et les livres que M. Thiebaut a bien voulu se charger de lui remettre de ma part. Je lui ai envoyé, entr’autres, un exemplaire des tables Astronomiques que l'Academie a fait imprimer ; je n'en avais <[... ?]> [reçu [?]] que ce seul exemplaire ; j'en ai maintenant encore quelques uns dont je puis disposer. si vous en souhaitez un, ce sera un grand plaisir pour moi d'avoir cette occasion de vous obliger.
Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur et vous prie de ne pas oublier celui qui vous aime et vous respecte plus que personne au monde.
[35 v] [Adresse et marques postales]