Transcription
[247 r] Mr Cramer doit Vous avoir informé[e], Madame, des petits Evenemens qui ont prècèdé son Depart ; Et depuis ce Depart ; il ne s’est rien passé ici, qui puisse Vous interesser le moins du monde. Ainsi je suis reduit à vous entretenir uniquement ; du Vuide que m’a fait eprouver Vôtre absence, de l’impatience que j’ai de Vous revoir à l’occasion de Vôtre voyage en Suisse, & de mes eternelles rèveries en Physique. Encore ; la disette de mes expressions (peu proportionnées à l’energie de mes sentimens), me force¬ra t-elle de me borner à ce dernier Point.
J’ai grand peur ; que mon aimable Ecolière, ne mette de côté mes pauvres Corpuscules ; pour peu qu’elle s’en entretienne avec Mr le Marquis de Condorcet, prevenu contre tous les Fluides qui ne tombent pas sous les sens. D’autant plus ; que la Legereté propre à son âge, s’accommodera sans doute bien mieux, d’un seul Mot sacramental : Dont la Vertu magique opere en cet instant mille Merveilles ; parce que cette Vertu idèale, n’est point gênée, comme le sont les Fluides, par des Obstacles dont il faille considerer peniblement l’influence. Et puis : Il est si aisé, de tourner <[... ?]> en ridicule, mon Mechanisme de la Gravité ; en le comparant, sans aucun fondement, à la Matiere cannelée de Descartes, ou en prettendant sans examen, qu’il ne peut être qu’une Hypothèse gratuite !
Mademoiselle De Chabot ne sera point blessée, de ce que je redoute un peu sa Legereté ; quand elle saura, que j’apprehende aussi quelque chose de semblable, de la part de Mr De Condorcet lui-même, dont les lumières sont si profondes. Voici sur quoi je fonde cette Apprehension.
Dans l’Histoire de l’Academie des Sciences pour 1773, page 92, il met les Gens qui decouvrirent la Fausseté des Experiences pretenduës faites sur les montagnes du Faucigny & du Vallais, au nombre de ceux qui s’obstinent à meconnoitre la Loi selon la¬quelle la Pesanteur diminuë par l’augmentation de la Distance ; & il dit, que ces Gens-là [se]1Lacune comblée du fait d’une détérioration du papier. croyoient interessés, à soutenir la pretenduë Augmentation de cette Pesanteu[r.]2Idem.
[247 v] Comme donc je suis l’Auteur de la Pièce où cette Fraude fut devoilée, & que j’y apposai mon Nom (Journal de Physique d’Avril 1773) : C’est moi, qui suis ridiculisé de la sorte : Aux yeux au moins de tout Lecteur, qui aura bien vû le Titre de cette Pièce, mais qui ne l’aura pas luë toute entière ; & qui aura <[... ?]> (par exemple) laissé en arrière, le Paragraphe XXXII, que voici :
Je suis bien aise aussi : Que ces Experiences pretenduës, m’ayent donné occasion, de manifester mon zèle pour la Philosophie de NEWTON. Parce que ; croyant avoir fait un Pas de plus que ce grand Génie, dans la carrière qu’il a fournie avec tant de succès, & m’en etant vanté plus d’une fois : Je cours risque, auprès de quelques Personnes, d’être confondu avec ceux ; qui ne savent pas employer l’Impulsion, dans l’explication des Phénomenes & de la Pesanteur en particulier ; sans mèdire de l’Attraction newtonienne, c’est à dire, de l’Universalité ou des Lois de cette même Pesanteur. Imputation, dont j’ai fort à coeur de prevenir jusqu’aux plus legers pretextes.
Ce trait de Legereté ; n’affoiblit point l’Admiration que m’ont inspirée les talens superieurs & le beau genie de Mr De Condorcet. Ainsi ; je vous serai fort obligé, Madame, si Vous voulés bien lui comuniquer tout cela.
Je suis avec le devouement le plus profond
Genève, 5eme Janvier 1779.