Transcription
[1 r] Monsieur,
Je venois heureusement de finir l’ouvrage que je vais donner sur le problême des trois corps, lorsque j’ai reçu celui que vous avez eu <de> la bonté de m’envoier. Je me suis livré sur le champ à l’envie que j’avois de juger par moi-même de ce que la renomée m’avois [sic] appris de vous. Je n’ai point quitté votre ouvrage que je n’aie vu tout ce que vous y donnez sur l’importante Question proposée par l’Académie en 1762. Si j’avois l’honneur d’être connu particulierement de vous et que vous sussiez a quel point je suis paresseux et combien je ne lis gueres vous sentiriez que je ne pouvois donner à votre ouvrage une marque d’estime moins prodiguée. Permettez-moi de vous en entretenir un moment, et de vous dire franchement ce que je pense comme je le fais toujours.
L’academie couronne en 1762 une piece excellente, utile et qui resolvant une question qu’elle même a jugée importante, interesse tous les savans, Et il faut qu’en 1766 l’auteur la fasse imprimer a Charleville |s’il veut jouir de son ouvrage| ? Cela a bien des inconvéniens. Les auteurs couronnés ont la gloire de l’avoir été mais le public ignore si c’est justice ou faveur, si les pieces qui ont concouru n’etoient |pas| detestables, si la piece qu’on a préferée avoit quelque merite, de quel genre etoit ce merite ? Voila selon moi bien des circonstances qui affaiblissent cette gloire. D’un autre côté la question est interessante, elle tient à tout ce qui occupe actuellement les savans et celui qui s’applique a des questions avec lesquelles elle a une liaison necessaire <ignorant> <sont obligés ou de travailler en pure perte pour refaire un travail deja fait mais ignoré d’eux ou d’attendre qu’après nombre d’années on veuille bien leur en faire part.> est obligé ou de travailler en pure perte pour refaire un travail deja fait mais ignoré de lui ou d’attendre qu’après nombre d’années on veuille bien lui en faire part. J’ignore les motifs de pareils <engagemens> arrangemens, je sais bien seulement qu’il ne peut y en avoir de nobles et que la depense necessaire pour faire imprimer chaque piece couronnée aussitôt après le jugement n’iroit pas fort haut.
[1 v] Vous démontrez, Monsieur, que la resistance de l’Ether tend perpetuellement a diminuer le grand axe de l’orbite des planetes, il arrivera donc un tems ou chaque planete tombera sur le Soleil. Et si la Theorie d’accord avec les observations donnoit pour chaque revolution la diminution de ce grand axe on trouveroit alors à peu près le tems ou cette chute aura lieu. Tout notre sistême planetaire tend donc a se reunir en une seule masse, les autres sistêmes y tendent peut-être aussi ensorte qu’après de longs siecles la nature entiere ne soit plus qu’un vaste amas de matiere enflammée. Ce seroit la une maniere <d’ecrire [?]> d’enseigner [?] la fin du monde plus probable et plus savante qu’on ne l’a <fait> emploié jusqu’ici.
Quelque <exacte> sûre, quelque utile que puisse être une méthode d’approximat.1La fin de ce mot n’a pas été écrite du fait d’un manque de place sur la page. je ne puis m’empécher de regretter toujours une méthode exacte et de la chercher en voici une que j’ai trouvée pour intégrer vos équations (E) et (F) toutes les fois que et ne contiendront que des fonctions algebriques de sans ni . Pour cela je prends de l’une et de |l’autre| la valeur de j’egale ces deux valeurs et j’ai une équation du 2d ordre entre , , , et . Maintenant ou cette equation n’aura point d’integrale finie et alors j’aurai une fonction de et et une fonction de , , , egales a et qui devront donner la proposée étant égalées entre elles ce qui servira à les déterminer, ou elle en aura une qui ne contiendra qu’une arbitraire alors on aura une équation du premier ordre en égalant à le coefficient de celui de etant supposé l’unité ; ou elle en aura [2 r] une complette alors je ferai constant j’intégrerai dans cette hypothese ce qui n’aura point de difficulté par ce que ne se trouve point dans l’équation et après avoir intégré je mettrai pour arbitraire à la place de et j’aurai l’integrale du premier ordre de la proposée.
Vous avez la bonté, Monsieur, d’étre content de l’essai que j’ai publié l’année derniere sur le calcul intégral. Un suffrage comme le votre m’est infinîment prétieux. Il s’etoit glissé quelque erreur dans la méthode d’integrer que je proposois. Je l’ai corrigée dans un Eclaircissement que je fais imprimer à la suite de mes mémoires sur le problême des trois corps. J’espere vous offrir cet ouvrage au mois de Novembre. Si vous étiez à Paris pour ce tems je me ferois un plaisir et un honneur de lier connoissance avec vous. Monsieur d’Alembert votre ami et qui m’honore d’une amitié et d’une estime particuliere me sera auprès de vous d’une bonne recommandation.
Soyez persuadé, Monsieur, qu’on ne peut rien ajouter aux sentimens d’estime et de reconnoissance avec les quels j’ai l’honneur d’être, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur
de Condorcet
A Ribémont |près St Quentin,| ce 3 Septembre 1766
[2 v vierge]