Transcription
[212 r] Ce 30 avril 1770.
Je quitte Paris, mon cher et illustre ami, et je n’ai pas voulu partir sans vous donner de mes nouvelles. J’ai eu ici des votres par M. de Keralio, et j’ai su toutes les tracasseries de la lanterna curiosa. Il y a <p> beaucoup de sotise et de mechanceté dans le monde et il y en aura toujours quoique disent ou fassent les gens sensés, par ce que ceux qui sont puissans ont interet que les hommes soient sots, et que <ces [?]> les sots croient avoir interet à être méchans. Je ne vous verrai pas encore cette année, par ce que mes affaires ne me le permettent pas, et je <passerai encore cette année> la passerai encore a calculer en Picardie ou je vous prie de m’écrire. M. de Keralio me fera passer vos lettres. Comment se portent Mrs Becaria et Verri. Sont-ils toujours occupés à combatre les sotises. Pour moi je le suis toujours du Calcul Intégral pour lequel je tache de perfectioner des méthodes genérales. On erige ici une statue à Voltaire aux depens des gens de lettres ses compatriotes et ses contemporains, elle sera de marbre et par Pigal. [212 v] M. d’Alembert n’est point encore en etat de travailler mais il n’est point malade , cette privation <d’étude> lui est pénible, il a besoin d’inventer pour être heureux, et il se trouve précisement comme ceux qui ont été amoureux et qui n’aiment plus rien. J’espere que le beau temps lui rendra ses forces et que <sa tête> les muscles qui environnent sa tête seront en état de suporter les efforts du je ne sais quoi qui est dedans.
Adieu, mon cher et illustre ami, consolez-vous avez1Lire : avec
. les sciences de l’injustice des hommes, opposez au discours des sots l’estime et l’amitié de vos amis. Je vous embrasse et vous aime de tout mon coeur. Portez-vous bien, aimez moi, pensez à moi quelquefois.
P. S. Je vous prie de remercier pour moi M. Moscati , je ne suis point anato¬miste, mais il ne <fait [?]> faut pas l’être pour sentir que son ouvrage est celui d’un Philosophe plein d’esprit. L’espece humaine est si mal telle qu’elle est que je crois qu’elle n’a qu’a gagner, et je consentirais volontiers à marcher a quatre pates pour essaier, s’il ne me sembloit que cette allure [213 r] n’iroit point aux jolies femmes, et si je pouvois arranger avec des bêtes a quatre Pieds un aussi joli tableau que celui d’Armide et de Renaud. Quand je pense a tout ce que je perdrois si la belle que je n’ai point |et| que je voudrois avoir marchoit a quatre pattes. Je ne puis être pour M. Moscati, et je defendrai toujours l’allure a deux pieds <dussai-je et [?]> dut-elle me faire vivre quelques années de moins. M. D’Alembert vous a écrit il y [a] peu de tems et il me charge de vous le mander.
[213 v] [Inscription allographe]