Transcription
[1 r] Ce mardi 17 8bre 1775
Il y avoit un tems infini que je n’avois eu de vos nouvelle[s]1Ce mot est tronqué du fait d’un manque de place pour l’écrire sur la page. bon Condorcet, et je m’en serois plainte si j’en avois eu la force. Mais je viens d’avoir un redoublement de tous mes maux qui ne ma laissé aucun usage de mes facultés. J’ai gardé mon lit, j’ai souffert, j’ai haï la <mort> vie. J ai invoqué la mort, mais depuis le bucheron elle est sourde aux malheureux, elle a peur d’ètre encore repoussée ; ho ! Qu’elle vienne et je fais serment de ne lui pas donner de |de| et de la recevoir au contraire, comme ma liberatrice ; le courage de M du Mui, ses souffrances, le subit de sa mort, tout cela a fait effet sur les gens qui l’aimoient le moins, et puis les yeux se sont tournes bien vite sur son successeur, le premier jour, il n’y avoit point de doute, cetoit Mr de Castries ; aujourdhui il n’en est plus question, ni de Mr Tabouraut, ce sont Mrs de Breteuil, [1 v] de Contade, du Chatelet, et je ne sais plus qui encore, c’est aussi un conseil de guerre et la partie des finances Mr Turgot, voila les nouvelles des rues, et il n’y en a pas de meilleures dans les chambres, vous savés que tous les ministres sont depuis hier jusqu’a jeudi a Montigni, je ne sais si c’est pour choisir un ministre, mais je serois bien etonnée si dans cette maison on finissoit, on terminoit quelque chose ; l’air qu’on y respire doit donner de l’insolation, de la paresse, et du vague ; tout au plus pouroit on y conserver l’activité de l’ecureuil ; a propos de cette maison, le maitre vous a t-il repondu sur l’affaire de cet homme de L’Orient ?
J’avois esperé vous revoir avant la fin du mois, il faudra encore atendre, je ne sais si c’est ma mauvaise santé, mais jamais je n’ai ete si [2 r] pressé[e] de vivre, il me semble que je vais echaper a tout ce qui me plait et m’interesse, et si je suivois mon mouvement, je donnerois a toutes mes volontes l’expression de celles des mourants, il me semble que c’est toujours pour la derniere fois que je veux, ou que je desire, vous voyés que voila une espece de folie, ou de foiblesse qu’il ne tiendroit qu’a moi de nomer pressentiment, mais j’ai un sentiment si profond et si douloureux dans l’ame quil ne laisse pas place a toutes ces sotises.
Vous avés surement beaucoup entendu parler des comedies de la Chevrette , cela va toujours en augmentant de plaisir et de perfection, Mr Suard est au courant de tout cela. Mr de S.t Chamans est reellement un peu mieux, il vous fait mille tendre[s] complimens ainsi que M d Alembert adieu, bon Condorcet, ne fut ce que par justice vous devriés m’aimer un peu, car je vous aime tendreme[nt].
[2 v] [Adresse et tarif postal]