Les données matérielles issues de la base d’expertise codicologique Muse (voir ci-dessous) sont recueillies sur les documents originaux et publiées sur le site de l’Inventaire, pour chaque lettre analysée (et à terme également pour les manuscrits), dans la section « Papier et cachet ».
- On y trouve une « Description de l’occurrence », suivie, lorsque le type de papier est identifié, d’une « Description de référence ». Celle-ci fournit les caractéristiques principales de chaque type de papier, en une quinzaine de critères, parmi lesquels figure le filigrane. Un type de papier recouvre toutes les feuilles produites par une même paire de formes, vendues dans un délai d’un à deux ans, consommées en moyenne dans les trois ans suivant la fabrication, plus rarement jusqu’à cinq ou six ans plus tard.
- L’image « de référence » du filigrane associé à ce type de papier en quelque sorte « modèle» ne provient pas nécessairement du document lui-même, mais d’un document choisi pour la lisibilité et la complétude du filigrane, que ce dernier soit « simple » (une marque unique), « double » (marque et contremarque) ou « triple » (marque, contremarque et signe supplémentaire). Dans certains cas, sont reproduits les deux filigranes jumeaux issus des « paires de formes », présentant de très légères variantes mais relevant du même type.
- Ces données descriptives sont également accessibles, de façon synthétique, par le biais du Répertoire des papiers et filigranes (Onglet « Autres données/Papiers et filigranes »). Chaque type de papier, illustré d’une ou plusieurs reproduction(s) du filigrane, y est suivi d’une liste des occurrences, lettres ou manuscrits, rédigés sur le même type. Les recoupements facilités par cette liste offrent diverses pistes de datation ou d’interprétation.
Si l’on admet la cohérence des gestes de travail d’un homme qui, comme Condorcet, passe un temps important de sa journée à écrire, mais oublie souvent de dater ses lettres, c’est en effet surtout la consommation du papier qui peut nous apporter des indices de datation, au moins relative, pour les documents non datés (Rieucau, 2013). L’étude des modalités d’utilisation du papier (format d’utilisation, pliage d’expédition, présence ou absence d’un cachet dans le cas des lettres) éclairent également les façons de travailler de Condorcet, et les connotations plus ou moins formelles de sa correspondance.
- Tandis que les lettres adressées à Condorcet, qui ne font pas l’objet d’une expertise systématique, sont décrites dans Ribemont selon un protocole de « Description sommaire » (voir « Outils »), les lettres et manuscrits originaux autographes ou allographes anthumes (notamment de la main de Cardot) font l’objet de relevés systématiques selon un protocole de « Description détaillée » (voir « Outils ») dont la version complète constitue les fichiers « Papiers » et « Filigranes » de la base de données Muse.
Conçu par Claire Bustarret[1]et Serge Linkès[2], l’outil d’expertise codicologique des manuscrits modernes et contemporains intitulé Muse (acronyme pour «Manuscrits, Usages des Supports d’Ecriture») est unique à l’échelle internationale. Sa nomenclature complète les ressources existantes (répertoires de filigranes), car il mobilise un ensemble de critères décrivant dans son intégralité la feuille utilisée comme support d’écriture, dont le filigrane ne constitue qu’un élément, parfois absent (Bustarret, Linkès, 2004). La base Muse permet non seulement d’identifier, sans recourir à une expertise optique ou chimique, les différents types de papier utilisés, mais de rendre compte des modalités d’utilisation (Bustarret, 2011, 2012), telles que pliage, assemblage, découpage, collage, disposition de l’espace graphique, répartition des mains et des instruments d’écriture.
La première version de la base de données Muse a été conçue dans le cadre du programme du CNRS « Archives de la création » (2000) comme un nouvel instrument de recherche en codicologie et en génétique des textes (Bustarret, 2009).
La codicologie, discipline érudite traditionnellement consacrée à la description matérielle des manuscrits médiévaux, a connu au cours des années 1970-1990, sous l’égide de Louis Hay et de Marianne Bockelkamp, un développement inédit au sein de l’Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM, CNRS-ENS, PSL), qui a nécessité la mise au point d’une méthodologie spécifique à l’analyse des documents de l’ère moderne et contemporaine (Bockelkamp, 1982, 1988, Hay, 1978). De 1990 à 1999, Claire Bustarret a été chargée de concevoir une base de données facilitant l’inventaire des données matérielles d’un corpus, préalable nécessaire au classement des brouillons et des archives dans la perspective d’établir le « dossier génétique » d’une œuvre littéraire. Cette base intitulée « Profil » (Bustarret, 1994, Bustarret et de la Passardière, 2002), illustrée de plusieurs dizaines de reproductions bétaradiographiques[3] numérisées, a permis de classer les quelque 300 types de papier jusqu’alors inventoriés par l’ITEM.
A partir de 2000, Serge Linkès et Claire Bustarret ont élaboré une première version de la base Muse, principalement axée sur l’identification des types de papier filigrané ou non filigrané, de fabrication manuelle ou industrielle, surtout de fabrication française. Comportant notamment des indices quant à leur date de fabrication et leur provenance régionale, Muse répertorie à ce jour 1340 types de papier différents qui sont attestés, parmi les archives manuscrites que nous avons dépouillées, dans plus de 5400 séquences de feuillets du même type (séquences d’1 à plus de 500 feuillets). Signalons qu’aucun outil en ligne n’existe par ailleurs pour identifier les papiers occidentaux de la période moderne et contemporaine[4].
Muse permet également de recouper ces données avec le descriptif de la composition des registres, volumes ou cahiers (reliés) ainsi que des liasses ou feuillets volants (non reliés), avec l’analyse de la répartition des scripteurs et des instruments d’écriture et de leurs usages, de façon à faciliter un repérage des campagnes de rédaction et des phases d’élaboration.
Les caractéristiques fonctionnelles de cette base en font donc un auxiliaire de recherche autonome qui permet d’élaborer, grâce aux requêtes multicritères, des hypothèses rigoureuses, étayées par un relevé exhaustif des occurrences, concernant les différents types de papier employés au sein d’un corpus d’œuvre (Bustarret, Linkès, 2008).
Le traitement de plusieurs corpus étudiés hors-ligne depuis 2000 (notamment de manuscrits de Montesquieu, Rousseau, Condorcet, Stendhal et Duchamp, soit plusieurs dizaines de milliers de feuillets) a montré l’efficacité de la base Musequant à la datation, au classement et, par voie de conséquence, à l’interprétation des dossiers génétiques les plus divers et les plus complexes (voir Bibliographie).
L’application de l’expertise codicologique à la correspondance de Condorcet, en corrélation avec la base de données Ribemont, plateforme numérique de l’Inventaire Condorcet, constitue une première expérimentation à grande échelle du couplage entre la base d’expertise codicologique et une base d’inventaire sur corpus (Bustarret, Vanzieleghem 2016).
Nous avons tout d’abord réalisé grâce au financement de l’ANR Condor (2017) une refonte complète de l’application MUSE, afin d’en améliorer les performances en tenant compte de nouvelles perspectives et pratiques de recherche. Le remaniement effectué a permis principalement de rendre MUSE disponible en ligne en tant qu’outil heuristique multi-corpus, conservant sa forme initiale de base de données relationnelle – afin d’en préserver la souplesse d’utilisation et les performances – mais hébergé désormais sur le serveur TGIR-Huma-Num et accessible en réseau à travers une interface FileMaker-Pro (fournie par l’hébergeur) bénéficiant d’une connexion sécurisée, afin de conserver l’intégrité des données et d’en protéger le contenu. Contrairement à l’outil heuristique « hors ligne » antérieur, la version en ligne permet à plusieurs intervenants, depuis janvier 2018, d’effectuer des relevés dans différentes institutions de conservation par le biais de connexions distantes simultanées.
La seconde opération a consisté, en 2018-2019, à établir une connexion entre les bases Muse et Ribemont. Bien que de structure et fonctionnalités différentes, les deux bases sont désormais en mesure d’échanger des données par le biais de mises à jour régulières : importation dans Ribemont des données provenant de Muse concernant la matérialité, notamment l’identification des types de papier associés aux lettres et manuscrits décrits et les reproductions de filigranes ; importation dans Muse des données concernant les textes, la datation, en provenance de Ribemont (améliorations en cours).
Ainsi, à l’heure où l’archive papier est soumise à un transfert systématique sur le support numérique, il est plus que jamais crucial d’associer l’analyse codicologique aux inventaires et éditions numériques de manuscrits et de correspondances de l’ère moderne et contemporaine.
Vous pouvez obtenir un accès « invité »à la base de données Muse sur simple demande à l’adresse suivante : musecodico@gmail.com (accès en lecture seule).
Une page consacrée à Muse est consultable sur https://musecodico.hypotheses.org, http://www.item.ens.fr/supports-et-traces/.
Références bibliographiques :
[1]IR CNRS, CMH-CNRS EHESS ENS, PSLmembre associé de l’ITEM-CNRS/ENS.
[2]Université de La Rochelle, membre de l’ITEM-CNRS/ENS, membre associé au CMH-CNRS/EHESS/ENS.
[3]La bétaradiographie est une technique de reproduction du papier par rayons Bêta, permettant de visualiser la structure et le filigrane en éliminant les traces écrites.
[4]Les bases de données existantes se concentrent exclusivement sur les filigranes, et en règle générale sur un corpus monographique en cours d’édition, à l’exception des sites mettant en ligne d’anciens répertoires de filigranes, auxquels s'ajoutent des bases récentes dan le cas du portail Bernstein-Memory of Paper.
Last update on Friday 2 October 2020 (11:49) by G. Foliot
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